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Oasis

D’abord prendre des voies rapides qui traversent des paysages de désolation, où des zones commerciales succèdent à des zones d’activité, des terrains en friche sont utilisés comme dépotoir, des bretelles d’autoroute labyrinthiques semblent tourner sans fin sur elles-mêmes, on espère pouvoir s’en échapper au plus vite.

 

Ensuite emprunter une route nationale et son lot de panneaux publicitaires hors d’échelle et d’enseignes clignotantes et tapageuses ; ce sont les arbres qui cachent la forêt des immeubles néo-rustiques fraîchement construits, des maisons de faubourg en passe d’être démolies pour laisser la place à d’autres immeubles au style vague et incertain, mais toujours en enduit de tons pierre.

 

Enfin traverser des zones pavillonnaires dont on pense ne jamais voir la fin, un bric-à-brac de maisons hétéroclites gentiment posées au milieu de leur terrain, comme si elles craignaient de toucher l’épaule de leur voisine, de clôtures doublées de haies de thuyas, de ralentisseurs et de potelets en plastiques, de poteaux et de fils électriques, bref un vaste chaos urbain, où tout sens esthétique semble avoir été banni.

 

Et là, au détour d’une rue de Saint-Michel-sur-Orge, un petit miracle apparaît sous nos yeux ébahis : un projet hors norme, tout droit sorti des années 1960, époque à laquelle le gouvernement lance un concours d’architectes pour la construction de 184 maisons de différents types, édifiées autour d’un hall d’exposition conçu par Jean Prouvé. Il s’agit à l’époque de promouvoir la maison individuelle et l’accession à la propriété pour tous ; autre temps, autres mœurs.

 

Toitures-terrasses, maisons-patios, éléments préfabriqués, panneaux en bétons décorés de motifs indéchiffrables, les habitants de ce quartier, tels des irréductibles Gaulois, tentent de préserver l’esprit initial du projet. Bien sûr, tout n’est pas très bien construit, les normes environnementales d’aujourd’hui n’existent pas encore, les maisons sont mal isolées, mais tout de même, tout ceci a une sacrée gueule. Il y règne une atmosphère de banlieue américaine des années 1960, les maisons sont basses, la végétation y a beaucoup poussé et les grands pins parasol semblent tout droit sortis d’un croquis d’architecte de l’époque. 

 

Les bâtisseurs étaient plus audacieux en ces temps reculés, un peu trop sans doute, puisque les excès brutalistes qui ont émaillés les années 1960 et 70 ont eu raison d’une certaine architecture moderniste, en tout cas dans la production de maisons individuelles. On veut aujourd’hui être rassurés en pastichant le passé et les traditions, mais ce n’est souvent pas fait d’une manière très savante. Les méthodes de construction industrialisée et le conformisme généralisé ont eu la peau d’une architecture de qualité dans le logement individuel. 

 

Village Expo, oasis architecturale au cœur de la morne banlieue, est le témoin d’une époque révolue, celle des Trente Glorieuses, quand une certaine forme d’insouciance primait, et que les architectes avaient encore le droit de rêver un peu.

 

 


First take expressways that cross a landscape of desolation, where commercial areas succeed areas of activity, fallow land is used as a dump, labyrinthine highway ramps seem to turn endlessly on themselves, hoping to be able to escape as soon as possible.

 

Then take a national road and its out-of-scale billboards and flashing and noisy signs; it is the trees that hide the forest of newly built neo-rustic buildings, suburban houses about to be demolished to make way for other buildings with a vague and uncertain style, but still plastered with stone tones.

Finally, cross endless suburban areas, a bric-a-brac of heterogeneous houses gently placed in the middle of their land, as if they were afraid of touching their neighbor's shoulder, fences lined with cedar hedges, speed bumps and plastic bollards, poles and electric wires, in short, a vast urban chaos, where all aesthetic sense seems to have been banished.

 

When suddenly, at the turn of a street in Saint-Michel-sur-Orge, a miracle appears: an extraordinary project, straight out of the 1960s, when the government launched an architectural competition for the construction 184 houses of different types, built around an exhibition hall designed by Jean Prouvé. At the time, it was a question of promoting the individual house and access to property for all, other times, other habits.

 

Roof terraces, patio houses, prefabricated elements, concrete panels decorated with mysterious motifs, the inhabitants of this district, like irreducible Gauls, try to preserve the initial spirit of the project. Of course, not everything is very well built, today's environmental standards do not yet exist, the houses are poorly insulated, but all this looks great. There is an American suburban atmosphere of the 1960s, the houses are low, the vegetation has grown a lot and the large umbrella pines seem to come from an architect's sketch of this period.

 

The builders were more daring at that time, a little too much no doubt, since the brutalist excesses that marked the 1960s and 70s meant the end of a certain modernist architecture, at least in the production of individual houses. Today we want to be reassured by pastiche of the past and traditions, but this is often not done in a very skilful way. Industrialized construction methods and generalized conformism have caused the disappearance of quality architecture in individual housing.

 

Village Expo, an architectural oasis in the heart of the bleak suburbs, bears witness to a bygone era, that of the postwar boom, when a certain form of carelessness prevailed, and when architects still had the right to dream a little.