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Bonne Maman

Voyage dans le temps suspendu d’un grand appartement parisien.

 

Nous entrons par l’escalier de service : on me fait d’abord passer par les coulisses, peut-être pour ménager l’effet de surprise avant de découvrir les pièces de réception. D’ailleurs l’entrée principale, qui a dû voir passer du beau monde entre ses deux grandes portes moulurées, est verrouillée fermement, comme si on avait voulu préserver ce lieu du monde moderne. Et le résultat est là : rien ou si peu n’a bougé depuis des dizaines d’années. Figé dans un décor immuable, ce grand appartement bourgeois et parisien n’a eu le droit à aucun lifting depuis les années cinquante. Les fauteuils Empire semblent totalement indifférents à l’air du temps de nos vies toujours plus pressées et numérisées.

 

Dans la cuisine, un poste-radio des années soixante-dix, une marmite et un balai en bois tous droit sortis d’un conte des frères Grimm côtoient une machine à café Nespresso, objet anachronique dans cet univers désuet.  Dans la buanderie, un petit lavabo émaillé surmonté d’un miroir vit ses dernières heures, esseulé entre des chaises pliantes et des torchons qui sèchent sur un fil à linge tendu entre deux tuyaux.

 

Visit of a large Parisian apartment where time has stood still.

 

We enter by the service staircase: I am first taken backstage, perhaps for the sake of surprise before discovering the reception rooms. Moreover, the main entrance, which must have seen beautiful people pass between its two large molded doors, is firmly locked, as if we had wanted to preserve this place from the modern world. And the result is there: nothing or very little has changed for decades. Frozen in an immutable setting, this large bourgeois and Parisian apartment has not had the right to a facelift since the 1950s. Empire armchairs seem totally indifferent to the zeitgeist of our increasingly busy and digitized lives.

 

In the kitchen, a 1970s radio, a pot and a wooden broom straight out of a Grimm brothers' tale sit alongside a Nespresso coffee machine, an anachronistic object in this antiquated universe. In the laundry room, a small enamelled sink topped with a mirror is living its last hours, lonely between folding chairs and tea towels drying on a washing line stretched between two pipes.



Construit par l’arrière-grand-père-architecte, l’immeuble est achevé à l’aube de la Grande Guerre. Dans un style post-haussmannien, il étale sa pierre de taille du trottoir jusqu’au septième étage. Balcons moulurés et harnachés de fer forgé, bow-windows aux courbures féminines, il a été bâti pour accueillir toute la famille, l’architecte-promoteur ne s’imaginant surement pas que le dernier lot appartenant à sa descendance serait vendu un siècle plus tard. La famille W. quitte définitivement le navire, ou presque.

 

L’appartement était occupé jusqu’à peu par la grand-mère, récemment disparue, de mon amie B. Ses dix enfants et trente-quatre petits-enfants l’appelaient Bonne Maman. C’est donc une famille nombreuse qui a occupé ces murs pendant toutes ces années. On y trouve les souvenirs accumulés par plusieurs générations : le portrait et le buste d’un aïeul célèbre en son temps occupent les places d’honneur : ancien ministre et sénateur de la Troisième République, il veille sur sa descendance, depuis le manteau de la cheminée sur lequel il est posé. Des jouets fatigués - qui faisaient peur aux petits enfants - de jolis bibelots et des souvenirs en pagaille illustrent l’histoire des occupants du lieu.

 

Ce reportage permet de garder une trace de cette vie passée : ainsi les souvenirs perdureront et avec eux quelques images. 

 

 

 

Built by the great-grandfather-architect, the building was completed at the dawn of the Great War. In a post-Haussmann style, he spreads his freestone from the sidewalk to the seventh floor. Balconies molded and harnessed with wrought iron, bow-windows with feminine curves, it was built to accommodate the whole family, the architect-developer surely not imagining that the last lot belonging to his descendants would be sold a century later. The W. family is leaving the ship for good, or almost.

 

 

The apartment was until recently occupied by the recently deceased grandmother of my friend B. Her ten children and thirty-four grandchildren called her Bonne Maman. It is therefore a large family that has occupied these walls for all these years. We find there the memories accumulated by several generations: the portrait and the bust of a famous ancestor famous in his time occupy the places of honor: former minister and senator of the Third Republic, he watches over his descendants, from the mantle of the fireplace on which it is placed. Tired toys - which frightened small children - pretty knick-knacks and souvenirs illustrate the history of the occupants of the place.

 

This report makes it possible to keep a trace of this past life: thus the memories will last and with them some images.